Moi Rodolphe j’ai fait une fausse couche

Article : Moi Rodolphe j’ai fait une fausse couche
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3 novembre 2012

Moi Rodolphe j’ai fait une fausse couche

Les routes africaines en ville ou en campagne, souvent mal conçues, mal exécutées et surtout mal entretenues se détériorent quelques années seulement après leur construction. Elles deviennent alors de véritables pièges à accidents et leurs états piteux font l’objet de discussions entre usagers. Mais qui parle des cas de femmes enceintes, qu’ayant juste emprunté le temps d’une course une route défoncée, ravinée et cahoteuse perdent leur grossesse.

Pas facile de narrer sans quelques explications, les contours de cette « aventure mystérieuse », qui m’est arrivée. Je suis né durant un mois de juin. Plus exactement le vingt-et-unième jour. Cette date marque des événements particuliers : souvenir des martyrs anticoloniaux togolais, fête de la musique dans le monde, solstice d’été… J’habite Lomé et vous prenez la plupart des cartons de calendrier au Togo, la mention qui y figure ce jour est : Fête des Martyrs. Sur le calendrier grégorien, commun, c’est habituellement Rodolphe. Donc, je devais me prénommer quelque chose comme Fêt-Mart, Martyro ou encore Rodolfo. Pas mal non. Comme un personnage de feuilletons brésilien ou colombien. Mais je ne sais par quelle alchimie, le jour du baptême arrivé, il ou elle ont choisi de m’attribuer sans mon avis d’ailleurs, un autre prénom : Aristides. De ce prénom, je parlerai plus loin. Mais revenons à ce fameux Rodolphe. J’ai beaucoup d’amis se prénommant ainsi. Mais, pourquoi mes géniteurs l’ont-ils abandonné, je me le demande. Est-ce parce qu’il se compose du nom Wolf signifiant loup ? Son bébé avec un nom de loup-garou, pas devant  mon père. Ou alors est-ce à cause de la même origine comme l’autre tombé en désuétude, Adolf pour ne pas le nommer, d’un tristement célèbre dictateur hitlérien. Passons.

Aristides donc est, d’après le Dictionnaire des prénoms de Chantal Tanet et Tristan Hordé, d’origine latine emprunté à l’adjectif grec aristos. Il signifie excellent, brave ou noble… La Grèce actuelle est en crise économique récurrente, sa cousine italienne ne se porte guère mieux. N’ayant aucune envie d’être en crise personnellement, je considère que ce prénom vient de nulle part ou est tout simplement d’origine africaine. Ni trop brave ni trop noble, je suis néanmoins d’accord que les Aristide excellent le plus souvent. D’aucuns dirons que c’est de l’ego trip. En tout cas, ces détours c’est pour vous confirmer que c’est une personne masculine qui s’exprime et qu’elle – un homme – n’est ni féministe ni efféminée encore moins machiste. Surtout pas de méprise sur mon identité. Je connais des filles, des femmes qui se prénomment Aristide, mais malheureusement moi je ne suis qu’un homme. Les dernier(e)s qui n’en sont pas convaincu(e)s n’ont qu’à zieuter ma tronche dans le coin  supérieur droit de leur écran. Remarquez, mon prénom porte un « s » final. Pas trop original mais ça sauve parfois. D’ailleurs mon sentiment est que ce prénom est sans sexe, sans genre, asexué. Comme Dominique par exemple. Je vois certain(e)s thomas(e)s qui ne croient toujours pas à la véracité du titre. Comment un homme peut-il faire une fausse couche ? Eh bien, c’est possible au Togo, plus exactement à Lomé.

Tout a commencé le 11 octobre dernier, après une inauguration. Ce jour-là, « Son excellence Monsieur le Premier Ministre » Togolais a inauguré en grande pompe les travaux de réfection du tronçon situé en contrebas de la Colombe de la Paix, sur l’avenue Maman NDanida. C’est alors que des douleurs bas-ventraux ont resurgi pour me rappeler une année auparavant, le jour où j’ai fait ma première et dernière fausse couche. Car je n’emprunte plus cette route qui m’a fait faire une Ivg : une interruption volontaire de gambader. Les Loméens savent que le goudron s’il en subsiste encore quelques traces, est parti de cette avenue depuis des lustres. Cette voie importante de 600 mètres  menant les visiteurs de l’aéroport au centre-ville, m’a fait voir de toutes les couleurs de la douleur et je ne l’oublierai jamais. Les touches d’un clavier ne peuvent restituer ce que cette route m’a fait endurer. Je vous en épargne les affres. Ce que je sais, ces centaines de mètres de cailloux et de graviers m’ont transformé quelques minutes en femme. Pour me faire sentir ce qu’endurent les Eves en couche sur nos chemins sismiques. Aujourd’hui en voiture ou à moto sur ce tronçon, je fais le vide, je ne suis plus là. Ne reste que mon corps pour encaisser dans la première phase : l’exponentielle, les tangages qui vous prennent le sternum, ensuite la colonne vertébrale. Puis une autre, celle des secousses dites stationnaires vous tordant tout ce qu’il y a comme tuyauterie dans votre abdomen. Vient alors celle des roulis lamineurs des os du sacrum et du coccyx à bâbord et à tribord. Et enfin la déclinante ou descendante qui a la particularité de tasser les organes bas-ventraux que la décence m’oblige à ne pas énumérer ici.

Sachez simplement que ce genre de chemins court les rues, et la capitale togolaise n’en détient pas l’exclusivité à l’instar des autres villes africaines. Mais je suis heureux car le tronçon de Lomé sera fait et refait dans huit mois, presque le temps d’une grossesse. Il y aura une route réaménagée en deux fois trois voies en aller comme au retour, un parking, un espace vert fleuri, etc. Que du joli, du moderne. L’on recommencera alors à emprunter tranquillement cette voie qui porte le nom de la mère d’un célèbre président de la République de chez nous ! Et de mon côté, l’évocation de ma vraie fausse fausse couche ne sera qu’un lointain souvenir de mon imagination.

Aristides Honyiglo

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